" Rien de grand, rien d'important ne peut être fait si l'ordre public n'est pas maintenu ", affirme le haut-commissaire de la République en Algérie Christian Fouchet dont l'objectif est de maintenir les accords d'Évian 1. 1 Libération, 12-13 mai 1962, p. 3.
Le plan Simoun, une incorporation stratégique Le 3 mai 1962, une inspection surprise de Christian Fouchet, en compagnie du commandant supérieur des forces armées d'Algérie, le général Michel Fourquet, à Oran, a pour résultat l'émission de six mesures de réaffirmation de l'autorité. Adoptées le 11 mai, elles sont énoncées le 13 mai, jour du quatrième anniversaire de la prise de pouvoir de 1958. À travers une enquête intitulée : " Les trois visages de l'OAS en Algérie " 2, l'envoyé spécial du journal Le Monde, Alain Jacob, signale que les états-majors, responsables et dirigeants de l'OAS ne sont pas directement visés par cette " opération Fouchet ". 2 Le Monde, 24 mai 1962, p. 5. Le gouvernement a la volonté de réduire l'OAS par des moyens français. La situation est tendue car l'échec de l'" opération Fouchet " remettrait en question l'Exécutif provisoire et inciterait le FLN à demander la présence de forces militaires neutres, telles que celles de l'ONU, provoquant l'exaspération de la minorité européenne et son intégration dans les rangs de l'OAS. L'attention de Christian Fouchet se concentre, donc, sur la jeunesse. De fait, parmi les six mesures de fermeté, figurent : la dissolution de l'Association générale des étudiants algériens (AGEA) et l'appel sous les drapeaux des jeunes Français de souche européenne (FSE) de 19 ans 4. 4 Les quatre autres mesures de l'" opération Fouchet "annoncent, notamment, la présence de gendarmes mobiles dans les commissariats, le recrutement de policiers musulmans " auxiliaires temporaires occasionnels " au nombre de 1 200 à 1 500, ainsi que la révocation de fonctionnaires, l'expulsion de 50 Algérois et l'internement de personnalités oranaises. Elles sont destinées à miner de l'intérieur l'OAS en lui ôtant une partie de ses recrues, ralliées de gré ou de force. Libération, 13 mai 1962, p. 3.
Les archives militaires attestent que l'incorporation des FSE en métropole a déjà été accordée par le ministre des Armées, Pierre Messmer, le 4 décembre 1961. Dans cette logique, les fractions du premier contingent 1962/1 A, 1962/1 B et 1962/1 C ont été respectivement mobilisées le 1er janvier, le 1er mars et le 1er mai 1962, selon le deuxième article du décret n° 61-1291 du 29 novembre 1961 5, et envoyées en métropole, les éloignant de l'activisme de l'OAS. 5 Ce décret concerne la composition, les dates d'appel et les obligations d'activité des premier et deuxième contingents de 1962. Journal officiel de la République française, 3 décembre 1961, p. 1110. Cependant, le constat de Christian Fouchet doit être nuancé. Un revirement d'opinion s'opère dès le mois de février 1962. Une partie de la population FSE a désavoué l'OAS à la suite de l'attentat à l'encontre du ministre de la Culture André Malraux, le 7 février. De surcroît, l'incarcération des principaux responsables de l'organisation, revers fracassant, annihile l'espoir de conserver l'Algérie française. Enfin, depuis le référendum du 8 avril, qui approuve à 90,7 % la politique algérienne du général de Gaulle, l'OAS s'adonne à une " stratégie de la tension " 7, avec la volonté de provoquer des attentats urbains auxquels les FSE sont directement exposés. En ce printemps 1962, les jeunes FSE sont donc autant les cibles de l'OAS que celles du FLN. En effet, répondant à l'activisme OAS, le FLN effectue des enlèvements d'Européens. À Alger, les enlèvements sont passés de 44 en avril à 276 en mai 8. La protection des FSE est donc, une motivation qui explique en grande partie leur envoi outre-mer, loin des deux derniers bastions de l'OAS : Alger et Oran. 7 MONNERET (J.), La phase finale de la guerre d'Algérie, Paris, L'Harmattan, p. 19. Alger et Oran, bastions de l'OAS, cibles du plan Simoun La mobilisation anticipée s'adresse aux jeunes FSE résidant à Alger et à Oran, car l'emprise de l'OAS y est importante. Les activistes optent, alors, pour la stratégie de " la terre brûlée ", dernière tentative d'action directe, dès le mois de mai. Ainsi, à Oran, le général Paul Gardy, dirigeant de l'OAS depuis l'arrestation d'Edmond Jouhaud, compte créer " un réduit oranais ", dans lequel tous les Européens se regrouperaient. Il prône la partition de la ville et harcèle, à cette fin, autant le FLN que les forces de l'ordre françaises 9. 9 DURANTON-CABROL (A. M.), Le Temps de l'OAS, Bruxelles, Éditions Complexe, p. 216. Tandis qu'à Alger, un attentat à l'encontre de dockers musulmans venus à l'embauche, le 2 mai, est un tournant dans l'action du FLN. Au cours d'une réunion, il affirme que " les moyens décisifs " devront être employés contre l'OAS. Le commandant Azzedine, chef de la wilaya 4, se résout à riposter ouvertement. Le 14 mai, ses feddayins mitraillent simultanément 37 cafés ou restaurants " fréquentés par les tueurs de l'OAS et leurs sympathisants ".
Une ordonnance est donc émise le 17 mai 10. Elle valide l'incorporation anticipée des jeunes âgés de 19 ans et des sursitaires, en métropole et en Allemagne 11. 10 La Dépêche d'Algérie, 17 mai 1962, p. 1.
Cette mobilisation anticipée prend le nom de code militaire " Simoun ". Ce terme qualifie un vent chaud et violent du désert d'Arabie, soufflant sur les côtes orientales de la Méditerranée. Cette appellation laisse songeurs les appelés anticipés auxquels nous avons demandé la raison de ce choix : " Le simoun est un vent chaud du désert alors pourquoi cette appellation (…). Peut-être étions-nous des grains de sable que lâche ce vent, mais pour moi le vent chaud s'est transformé en bise hivernale " 12, énonce un témoin, envoyé en Savoie. Tandis qu'un autre témoin incorporé à Vannes affirme : " C'est un vent chaud qui noie et balaie tout sur son passage. Est-ce que nous avons été balayés, chassés ? " 13 12 Témoignage de monsieur René Mancho. Ceci est un extrait de son blog : http://oran1954.over-blog.com Le plan Simoun se subdivise donc en deux afin d'encadrer au mieux la jeunesse européenne des deux villes. D'une part, le plan Simoun I s'adresse à la jeunesse d'Alger. D'autre part, le plan Simoun II vise la jeunesse d'Oran. Cependant, la résiliation des sursis ainsi que l'anticipation du service militaire, imposées par l'ordonnance, suscitent des critiques. Le plan Simoun en accusation En effet, l'Union nationale des étudiants de France(UNEF) s'élève aussitôt contre l'incorporation anticipée. De fait, les jeunes gens incorporés ne pourront pas se présenter aux examens 14. En outre, dans une émission pirate, le 22 mai, l'OAS conteste l'appel sous les drapeaux des jeunes FSE. Elle ordonne à la population de les cacher et aux fonctionnaires de saboter le plan 15. Dans l'émission du 2 juin, elle compare le plan Simoun au service du travail obligatoire (STO) et assimile Christian Fouchet au Gauleiter Fritz Sauckel 16. Certes, le STO était effectué en Allemagne à titre de substitut du service militaire et des sursis furent supprimés. Néanmoins, le rapprochement, voire l'amalgame, entre ces deux concepts est injustifié car l'appel anticipé était également destiné à protéger ces jeunes. 14 Le Monde, 27-28 mai 1962, p. 3. 15 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate de l'OAS, diffusée entre 19h40 et 19h58, le 22 mai 1962. 16 SHD/GR, 1 H 1736, dossier 2, émission pirate de l'OAS, diffusée entre 19h56 et 20h15, le 2 juin 1962. Enfin, à la veille du plan Simoun, un député de Batna dénonce également cette cinquième mesure de l'" opération Fouchet ". Le général Dominique Marie Renucci, choisit d'effectuer le rapport d'un télégramme d'un électeur, le 5 juin 17. Il affirme que cet appel anticipé va à l'encontre de l'article 3 du chapitre IX des accords d'Évian sur la protection des droits et des libertés des citoyens algériens de statut civil ou de droit commun qui signale que : " (…) les Algériens de statut civil de droit commun seront, pendant cinq ans, dispensés de service militaire ". Il insiste également sur les répercussions psychologiques que pourraient avoir l'envoi des appelés outre-mer 18. 17 Journal officiel de la République française, 3 juillet 1962, p. 2179. L'ordonnance a été dûment méditée et a été l'objet d'une étroite correspondance entre Christian Fouchet et le général Michel Fourquet. L'objectif était d'éviter des désertions et d'incorporer un grand nombre de jeunes FSE, d'Alger et d'Oran. À cette fin, le général Michel Fourquet a proposé à Christian Fouchet d'aligner les âges d'incorporation d'Algérie sur ceux de la métropole 19. C'est pourquoi, l'idée d'une mobilisation à l'âge de 19 ans a provoqué autant de remous. De fait, il existe un décalage entre les classes creuses en France, liées à une fécondité en chute et les classes trop importantes en Algérie, en vertu de la mobilisation des FSNA. Ils sont, donc, mobilisés à 20 ans en métropole, tandis qu'en Algérie, ils sont incorporés à l'âge de 21 ans. 19 SHD/GR, 1 H 1385, 10 mai 1962. Une incorporation délicate L'ordonnance impose également la résiliation des sursis. En effet, c'est le général Michel Fourquet qui a proposé cette seconde mesure, complétant l'alignement des âges d'incorporation. Néanmoins, afin de ne pas provoquer le mécontentement des jeunes FSE, il prévoit, non seulement, de supprimer les sursis de tous les partisans de l'OAS arrêtés ; mais aussi, de multiplier les contrôles de la police, dans les villes d'Oran et d'Alger, d'en garder à chaque fois une fraction et de les interner administrativement. Ceux qui se révèleraient être en sursis seraient mobilisés. Enfin, outre les résiliations de sursis, le général Michel Fourquet annonce que les sursitaires, qui renonceront à leur sursis avant le 15 septembre ou dont le sursis arrivera à expiration avant le 1er novembre ainsi que ceux dont le sursis n'aura pas été renouvelé au titre de l'année scolaire 1962-1963, seront incorporés. En somme, l'effectif susceptible d'être appelé et de 19 500 jeunes, comprenant 11 000 FSE, jusqu'à l'âge de 18 ans et cinq mois, 7 000 FSE sursitaires et 1 500 FSE en report d'incorporation. En réalité, entre le 10 mai, date de rédaction de la note de service du général Michel Fourquet à Christian Fouchet et l'émission de l'ordonnance du 17 mai, le nombre a été réduit. In fine, 6 000 FSE, toutes catégories comprises, habitant Alger et Oran, sont visés. Par ailleurs, bien que l'incorporation s'adresse à tous les jeunes âgés de 19 ans résidant au sein des villes d'Alger et d'Oran, on constate des exceptions. Dès la parution de l'ordonnance, certains jeunes aux cas particuliers se sont présentés spontanément aux centres d'instruction demandant le maintien de leurs sursis ou le report d'incorporation. Le général Michel Fourquet s'engage à étudier lui-même chacun des cas sans déléguer le pouvoir de décision 20. Cette initiative reflète donc, de nouveau, le désir de ne pas susciter de mécontentement, voire la rébellion des jeunes FSE. C'est pourquoi, les conditions matérielles destinées à améliorer le moral des jeunes FSE, empreints d'amertume par la résiliation des sursis et l'appel anticipé, doivent aussi être valorisées. 20 SHD/GR, 1 H 1385, 26 mai 1962. Un accueil rigoureusement préparé Les recrues doivent être correctement accueillies. Cette idée est constante au sein des archives concernant le plan Simoun 21. 21 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962. Chargés d'accompagner les jeunes incorporés en métropole et de porter les pièces matricules, les documents concernant leur transport, les cadres de conduite sont définis de la manière suivante par le général Michel Fourquet : un officier d'active dirigera 200 recrues. En outre, un sous-lieutenant s'occupera de 50 recrues. Enfin, un sous-officier sera à la tête de 20 recrues. Ces derniers doivent se présenter la veille du jour de leur prise de service à huit heures. Sous la conduite du service général de centre, ils devront consacrer la journée aux reconnaissances nécessaires à l'exécution des services de réception et d'accueil qui seront assurés le lendemain. Ainsi, la préparation rigoureuse du plan Simoun reflète de nouveau la volonté des autorités militaires de réussir l'accueil et l'envoi outre-mer des jeunes FSE 22. 22 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962. Le plan Simoun doit se dérouler du 7 juin jusqu'au 16 juin inclus pour la ville d'Alger et du 7 juin au 13 juin inclus pour la ville d'Oran 23. 23 SHD/GR, 1 H 1385, 2 juin 1962. Les recrues sont mobilisées par ordre d'appel individuel établi et posté par le service du recrutement. Simultanément, un communiqué indiquant pour chaque tranche d'appel les lieux et les dates de convocation est diffusé par voie de presse et de radio le premier jour de l'appel, et répété pour chaque tranche, la veille du jour de convocation 27. Cependant, les bureaux de recrutement militaire des deux villes connaissent des difficultés d'ordre technique pour envoyer les convocations à chacun des jeunes FSE appelés sous les drapeaux. Les autorités n'hésitent pas à utiliser la télévision, ce qui étonne l'envoyé spécial du journal Le Monde, Alain Jacob :" Ce mode d'appel insolite a été décidé par l'autorité militaire en raison des perturbations que connaît actuellement le service des postes dans les deux villes et sans doute parce que les gendarmes ont d'autres tâches à remplir. " 28 27 SHD/GR, 1 H 1385, 24 mai 1962. Rigoureusement préparé, le plan Simoun est en outre opéré promptement, car la situation dans les deux villes est tendue et le départ est difficile, tel que le signale un témoin : " Mes parents m'accompagnent : ce sont nos dernières paroles, nos derniers sourires, nos dernières embrassades sur ce sol d'Algérie. C'est la première fois que je quitte ma famille sans savoir si on se reverra. Je pars, eux restent encore… et l'inéluctable fait sentir sa présence. Je souris mais le cœur n'y est pas. Je laisse vingt ans de ma vie sur le sol, tous les membres de ma famille, mon quartier, une réelle douceur de vivre, que je n'ai plus retrouvée à l'identique, tous mes repères. À l'époque pas de cellule d'accompagnement ! " 29 29 Témoignage de monsieur Bernard Venis, op.cit. Un transfert outre-mer hâtif Aux centres de rassemblement, du Lido et d'Eckmühl, où les recrues d'Alger et d'Oran, sont respectivement attendues, les formalités sont, en effet, expédiées et ce constamment dans la double logique d'évacuer rapidement les jeunes Européens et d'éviter leur insatisfaction. L'organisation des centres comporte un service de réception et d'accueil fonctionnant, d'une part à la gare routière, d'autre part aux centres d'instruction des deux villes, ainsi qu'une chaîne de mise en condition destinée à préparer les jeunes FSE à embarquer. Cette dernière comprend une antenne de recrutement, un service général et une antenne médicale 30. Ainsi, dès leur arrivée les recrues se rassemblent pour écouter l'allocution du chef de centre 31, leur présentant les différentes étapes de l'incorporation et leur recommandant une parfaite tenue. 30 SHD/GR, 1 H 1385, 27 juin 1962. Par groupe de 20 recrues en tenue civile, ils sont pris en charge par les cadres désignés pour les accompagner jusqu'au lieu de destination. Les jeunes recrues passent successivement devant un service de fouille, puis devant l'antenne de recrutement et, enfin, au secrétariat. Ce dernier est organisé en deux ateliers, un par destination, Strasbourg et Le Bourget d'une part, Istres d'autre part. Il procède immédiatement à l'enregistrement des renseignements sommaires concernant chaque recrue et à des listes nominatives destinées aux cadres 32. Ensuite, les jeunes FSE passent une visite médicale. Les inaptes médicaux sont renvoyés chez eux, après avoir été pointés, avec une attestation régulant provisoirement leur situation. Durant leur séjour dans les centres, les recrues déjeunent sur place. Ils assistent à une présentation de matériels blindés ainsi qu'à une séance de cinéma récréatif avant leur départ 33. 32 SHD/GR, 1 H 2709, 19 juin 1962. Pendant les quatre premiers jours, les moyens de transport aériens présents ont permis d'embarquer environ deux tiers des incorporés. À partir du 11 juin, grâce à une augmentation des moyens de transports et au report dans l'après-midi des horaires de départ, la totalité des recrues a été dirigée en métropole, le jour même. Un témoin, a embarqué dans un DC-6, un quadrimoteur de la Swissair et un autre a embarqué sur un porte-avions léger, le Lafayette. De nouveau, la diversité des moyens de transports employés par les autorités militaires pour faciliter le départ des jeunes FSE révèle la volonté de les éloigner au plus vite. L'arrivée des jeunes FSE en métropole s'articule autour de trois temps forts 34. 34 SHD/GR, 1 H 1385, 30 mai 1962. Dès leur arrivée, les recrues sont immédiatement rattachées à la fraction du contingent 1962/2 A incorporée dès le 1er juillet. Ils passent ensuite une visite médicale, normalement prévue, à toute incorporation. C'est pour eux, la seconde visite, la première ayant eu lieu en Algérie. Le second temps est celui de la sélection. Un " tri " est effectué dans l'objectif de faciliter le troisième temps, qui est celui de l'instruction. Ces derniers reçoivent la formation élémentaire du combattant en même temps que la fraction du contingent 1962/2 A. Une incorporation autoritaire Ainsi que l'atteste la presse, les recrues sont arrivées à destination aux dates prévues, sans retard. La Dépêche d'Algérie datée du 8 juin titre : " 400 jeunes algérois " mobilisés anticipés " ont " rejoint ". Ils seront acheminés aujourd'hui sur la métropole et surtout en Allemagne. " 36 36 La Dépêche d'Algérie, 8 juin 1962, p. 1. Cependant, il faut nuancer la réussite du plan Simoun. En effet, à l'origine, les autorités militaires comptaient envoyer 6 000 jeunes outre-mer donc un nombre beaucoup plus important que le résultat obtenu, soit 2 380 38. De plus, le graphique proposé par le général Michel Fourquet, démontre qu'aucune catégorie de jeunes ne s'est présentée en totalité. Nombreux sont les FSE qui ne sont pas venus spontanément le jour de leur convocation aux centres d'instruction. La preuve étant que, normalement le plan Simoun I, concernant la ville d'Alger, devait s'échelonner du 7 au 16 juin et le plan Simoun II, visant la ville d'Oran, devait s'étendre du 7 au 13 juin 39. 38 Nous avons effectué le calcul suivant : 2 313 (recrues incorporées en métropole) + 67 (recrues dirigées vers Mers el-Kébir) = 2 380 recrues. Finalement, seules quelques difficultés sont à noter. D'une part, une modification du plan de transport. En effet, pour permettre une meilleure répartition des recrues entre les régions militaires de métropole, le lieu de débarquement des jeunes recrues d'Alger a été en partie modifié. Il reste sans changement du 7 au 13 juin inclus. En revanche, les recrues convoquées à partir du 14 juin ont débarqué à l'aérodrome militaire d'Istres, où elles ont été réparties entre les 5e, 6e, 7e, 8e, et 9e régions militaires 41. Par ailleurs, des dépenses supplémentaires, relatives à l'alimentation, sont signalées 42. Hormis ces deux faits, le transfert des jeunes européens s'est déroulé correctement. Cependant, l'adhésion était obligatoire et revêtait un caractère grandement autoritaire, ce qui permet de nuancer les propos des autorités au sujet du comportement des jeunes Européens. 41 SHD/GR, 1 H 1385, 7 juin 1962. Une mobilisation obligatoire Une grande pression a été exercée par le gouvernement et les autorités militaires françaises. Les jeunes FSE, qui n'avaient pas été appelés, devaient se présenter sous peine d'être hors-la-loi. Dans la même logique, les autorités militaires se sont engagées à transférer les recrues qui ne pourraient guère se rendre, faute de moyen de transport, au centre de rassemblement. Les jeunes FSE devaient se présenter au district de transit d'où ils ont été acheminés aux camps du Lido, pour Alger et d'Eckmühl pour Oran. L'accueil et le transport des appelés venant dans ces conditions au district de transit demeuraient à la charge de l'officier supérieur, chef du centre de rassemblement des recrues 43. Une initiative qui témoigne non seulement de la rigoureuse organisation de l'opération mais aussi de l'urgence de sa réalisation. 43 SHD/GR, 1 H 2709, 2 juin 1962. Par ailleurs, le caractère autoritaire du plan Simoun s'avère incontestable car les jeunes recrues obligées de se présenter sont escortées par des militaires chargés d'empêcher toute rébellion. En effet, le général commandant la zone d'Alger Sahel a été chargé d'assurer la protection contre toute menée subversive susceptible de troubler le déroulement des opérations d'appel, en particulier aux abords du district de transit d'Alger et du camp du Lido, ainsi que pendant le transport des recrues entre ces deux points et lors de leur déplacement vers l'aéroport d'embarquement. Concrètement, ces décisions se traduisent par la présence d'une patrouille blindée pour deux camions au maximum et d'un peloton blindé au-delà de deux camions 44. 44 SHD/GR, 1 H 1385, 6 juin 1962. Enfin, les autorités militaires multiplient les fouilles des jeunes FSE habitant Alger et Oran, déjà importantes au mois de mai. En effet, d'une part, le préfet de police d'Alger, Vitalis Cros, affirme que dans le seul mois de mai, il eut 472 arrestations de tueurs ou de plastiqueurs et plus de 30 000 armes saisies 45. 45 CROS (V.), Le Temps de la violence, Paris, Presses de la Cité, p. 207. L'ordonnance no 62-908 du 4 août " relative aux obligations militaires des jeunes gens de statut civil de droit commun en Algérie " 48 est destinée à appliquer cet article. Elle démontre, de nouveau, sans ambages que le plan Simoun était un prétexte, temporaire, destiné à éloigner la jeunesse FSE de l'action de l'OAS en Algérie. Paradoxalement, à Alger dans une ville vidée de sa jeunesse, une session de rattrapage était proposée aux étudiants. Le décret du 30 juin, émis par le ministre de l'Éducation nationale Pierre Sudreau, stipulait l'organisation d'une session spéciale d'examens au début du mois de novembre 49. 48 Ibid.,7 août 1962, p. 7818. Plusieurs jeunes hommes ne sont, effectivement, pas retournés en Algérie, leur terre natale, depuis leur transfert outre-mer. Ainsi en témoigne le poème d'un appelé anticipé : " Ce triste 21 juin 1962, le soleil plombe mais tout est flou, mes yeux s'embrument, les larmes coulent et je ne peux pas lutter. À travers les brumes de ma vue, là-bas Oran n'est plus qu'une tache floue. Oran, Oran de ma jeunesse. " 50 50 Témoignage de monsieur René Mancho. Un symbole du non-retour ? La création d'un secrétariat d'État aux Rapatriés, le 24 août 1961, confié à Robert Boulin, est destinée à conduire les opérations de rapatriement. Une allocation mensuelle de subsistance est accordée pour un an aux rapatriés, en attendant leur reclassement professionnel. En 1967, la catégorie " rapatriés " disparaît des statistiques de demandeurs d'emplois, ce qui révèle leur intégration économique. Les plus jeunes recrues concernées par le plan Simoun, âgées de 19 ans en 1962, ont à cette date 24 ans. Subsistent encore les blessures d'ordre psychologique et mémoriel, pour ces anciennes recrues dont on tait l'appel anticipé. Le témoignage d'un appelé, un sursitaire âgé de 20 ans, dont le sursis fut résilié, est empreint d'amertume : " Alors, question : combien de jeunes gens ont été touchés par ce qu'il faut appeler une rafle ? Et pourquoi les historiens sont si peu bavards à ce sujet ? " 53 " 53 Pieds noirs magazine, op.cit., p. 32-33.
Soraya Laribi
Mis en ligne le 02 avril 2014
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